Résumé de l’histoire littéraire du Portugal [suivi du] Résumé de l’histoire littéraire du Brésil, par Ferdinand Denis, Paris, Lecointe et Durey Libraires, 1826, Chapitre 3, p. 534-553.
Le premier poème épique composé au Brésil, et jouissant de quelque renommée, a été inspiré par l’événement le plus poétique qui suivit la découverte de ce beau pays.
Caramourou, dans lequel on rappelle les aventures d’un jeune Européen que le sort jette sur ces rivages, présente l’heureuse peinture du génie ardent et aventureux des Portugais de cette époque, mis en opposition avec la simplicité sauvage d’un peuple dans l’enfance. On sent tout ce que pouvait produire un sujet aussi heureux dans un pays où des souvenirs poétiques sont encore récens (sic) et exercent une forte influence sur les esprits. La description d’une nature remplie de grandeur et de pompe, celle de ces usages qui rappellent les temps primitifs, tout cela était digne d’inspirer un poète du premier ordre; et l’on pourrait presque prédire que cet événement trouvera par la suite un chantre nouveau qu’il inspirera dignement.
Le poème de Caramourou est cependant loin de manquer de mérite; il est malheureux que le style ne soit point toujours en rapport avec la conception. Je vais offrir l’analyse de cette ouvrage, et j’en présenterai même quelques fragments: les débuts d’un peuple en ce genre sont toujours curieux à connaître. Caramourou d’ailleurs n’est point connu en Europe; aucune histoire littéraire n’en fait mention, et il serait déjà d’un assez haut intérêt quand on se contenterait d’observer la teinte locale qui y domine continuellement. Les Américains n’ont point fait toujours sentir dans leurs productions les effets de la nature qui les inspirait; avant d’être libres il semblait qu’ils voulussent oublier leur patrie pour demander à l’Europe une partie de sa gloire. Maintenant, ils doivent fonder leur littérature: je le répète, elle doit avoir un caractère particulier.
Le Brésil a été découvert depuis quelques années; mais ce pays pittoresque, où San Salvador s’est élevé depuis, est inconnu aux Européens. Cependant, un de leurs navires vogue dans les parages; une tempête s’élève; il est entraîné sur les écueils qui bordent la côte; bientôt tout espoir est perdu; quelques malheureux naufragés essaient de se soustraire à la mort: la terre les reçoit.
Mais quel asile vont-ils trouver? Déjà une foule immense les entoure; ce peuple sauvage croit dans son étonnement que la mer vient de lui envoyer des monstres d’une espèce nouvelle; leur couleurs, leur barbe, leurs cheveux, tout est pour lui un lieu de surprise.
Ces infortunés Européens deviennent prisonniers d’une tribu américaine. Les redoutables Tupinambas, qui étendent leurs puissance sur toute la côte, les destinent à des sanglants festins. Tel est leurs sort: sur leurs navires ils seraient des dieux; jetés par la tempête sur un rivage inhospitalier, ils sont moins que des hommes.
Il ne faut point croire cependant que ces peuples eussent l’instinct de la férocité: l’anthropophagie était chez eux un usage épouvantable auquel ils se soumettaient sans murmures, comme ils y destinaient ceux qui tombaient en leur pouvoir.
La nature leur avait prodigué tous ses biens, et, par une inconcevable bizarrerie, ils réunissaient l’innocence des premiers âges à une férocité que ne peut concevoir la civilisation la plus corrompue. Mais peut-être le poète nous le montre-t-il avec exagération quand il les représente dévorant tout-à-coup les victimes qu’ils ont frappées ou que la mer a rejetées sur le rivage.
C’est alors que l’infortuné Diogo Correa, le héros du poème, sent son courage se ranimer: il a vu parmi les débris du navire un mousquet, dont les barbares ignorent l’usage; il s’en empare, et feint que sa faiblesse l’oblige à s’en servir comme d’un soutien. Il a souffert; sa pâleur atteste ses maux: cette langueur le sauve; il est réservé pour d’autres festins: ses malheureux compatriotes doivent succomber avant lui au milieu d’horribles fêtes. Mais un jour, pendant qu’ils attendent leur triste destin, l’un d’eux cherche à calmer leurs maux par des chants pleins de douceur: c’est le jeune Fernand qui a recueilli une guitare sur le rivage, et qui va célébrer les miracles du christianisme naissant dans ces contrées sauvages. Il dit, et ses compagnons l’écoutent. Il raconte les merveilles que l’on peut admirer sur un roc solitaire de la côte.
Au temps de la découverte, un religieux est venu au milieu de ces nations. Dieu a révélé ses préceptes à un vieux chef aveugle qui comprend les discours du pieux missionnaire, et veut devenir chrétien: il reçoit le baptême et il meurt. Mais Dieu, par sa puissance, le change dans une statue revêtue de tous les attributs du guerrier sauvage; il le place sur un roc solitaire, sans cesse battu par les vagues; et ce monument indestructible du pouvoir de la Providence domine sur les contrées d’alentour pour servir d’exemple aux peuples voisins, et pour attester à l’ambitieux Européen que la voix du Ciel a été entendue dans le Nouveau Monde.
Cette image a de la grandeur, et il est fâcheux que le style ne réponde pas toujours à l’impression qu’elle doit causer.
Fernand se tait. Un barbare se saisit de l’instrument; mais il excite la gaieté des Européens, qui passent des pleurs à un rire insensé. Cependant le terme fatal s’approche; les feux se préparent, les chrétiens seront immolés. Au moment où va commencer le sacrifice, le jeune Fernand invoque le Ciel, lorsqu’on voit arriver l’ennemi de Gupeva, chef de la tribu: c’est le vaillant Sergipe. Les guerriers songent à se défendre, et les chrétiens parviennent à se sauver en s’enfonçant dans le désert.
Diogo seul, Diogo est resté au pouvoir des barbares, et le poète nous le représente au deuxième chant attendant la mort dans sa caverne. Il est résolu au trépas, mais il veut être vengé. Il sort, se revêt d’une armure brillante qu’il a sauvée du naufrage, et bientôt il voit descendre de la colline la foule que Sergipe a vaincue. Gupeva l’aperçoit; sa cuirasse étincelante l’effraie; il tombe presque évanoui aux pieds de son prisonnier, qui le relève et lui porte quelques secours. « Si le puissant Toupan[1] t’a envoyé de ces montagnes environnées de nuées épaisses, dit le barbare, nous te serons soumis. » Enfin, Diogo devient un objet d’épouvante et d’admiration pour tout ce peuple. Il introduit une foule de Tupinambas dans sa grotte; il leur montre les merveilles qu’il a sauvées du naufrage; et l’étonnement des sauvages est assez bien décrit. À mesure que son pouvoir s’accroît, il cherche à leur faire comprendre la morale des peuples civilisés.
Cependant ils ne connaissent pas tout son pouvoir; ce pouvoir va leur être révélé d’une manière effrayante: un jour que la tribu est à la chasse, Diogo fait usage de l’arme terrible qu’il a trouvée sur le rivage; le coup part, et la peuplade, dans son effroi, croit le voir armé de la foudre. Elle le nomme Caramourou, car elle vit en lui le fils du tonnerre. Diogo pourrait s’en faire adorer; mais il ne veut point abuser de la simplicité sauvage, et il avoue qu’il n’est que l’esclave du Dieu que l’on doit redouter.
Ainsi donc, jeté sur des plages barbares, mais sauvé par son courage, le jeune Européen ne doit plus craindre la mort. Image d’un dieu, il a une puissance surnaturelle aux yeux des Tupinambas; sa présence imprime le respect: mais c’est un autre sentiment qu’il fait éprouver à la fille d’un chef de ces contrées. Paragouassou a repoussé les hommages de tous ceux qui l’environnent: bientôt elle aime Diogo; bientôt elle en est aimée. Elle est instruite dans le langage des Européens, car elle a connu ces étrangers durant un long voyage vers le terres du sud, où ils sont déjà établis. Elle sert puissamment Diogo; elle exprime toutes ses pensées; elle lui transmet celles du chef qui commande à ces nations.
Diogo veut répandre les lumières de la religion chez les sauvages; mais auparavant il se fait instruire de leur croyance, et Gupeva lui explique les antiques traditions des peuples de ces contrées. Ce long discours du chef occupe le troisième chant; et Duraõ n’a point toujours puisé à des sources fort exactes, ou plutôt son zèle religieux cherche dans les croyances de ces tribus des révélations qui leur auraient été faites anciennement. Il fait même venir un apôtre dans le Nouveau-Monde, et raconte ses miracles.
Cependant la belle Paragouassou ne tarde point à inspirer une passion violente à l’un des chefs les plus puissants de ce pays; c’est Jararaca, la terreur des nations. La guerre s’allume pour la possession de cette beauté sauvage. Bientôt les deux armées sont en présence. Le poète passe en revue les différentes peuplades qu’on remarquait avant la conquête: tantôt ce sont les Caetès que des cicatrices horribles défigurent; tantôt on voit paraître les redoutables Margates au front teint de noir :
« Gupaiba[2], qui tient une si redoutable massue, Gupaiba guide la troupe grossière de cette nation cruelle. Dans l’ardeur de la bataille, le malheureux qu’il embrasse est presque dévoré vivant. Autour de sa poitrine on voit suspendus de long colliers formés des dents de ses victimes; dans leurs tours nombreux ils tiennent lieu de vêtement. […].
Sambabaia conduit une autre troupe. Les siens sont si habiles à lancer la flèche, que l’oiseau traversant les aires ne peut l’éviter. Le manteau qui couvre ce chef est tissu de plumes, une ceinture de plumes entoure ses flancs, des plumes enfin, fixées sur son visage, lui donnent l’apparence d’une espèce de monstre.
Dix milles Maques suivent ceux-ci; c’est une nation endurcie, accoutumée à cultiver le manioc, aussi utile à l’agriculture qu’elle est vaillante durant une bataille. Ces Indiens ont pris le soin de fournir des vivres aux autres guerriers. Les uns rôtissent l’aïpi, d’autres apprêtent le manioc. Ceux-ci cuisent sous la cendre les blanches pipocas.
Le brave Sergipe, allié au reste de l’armée, conduisait avec lui les Pitiguares qui, ayant triomphé quelque temps auparavant de leurs ennemis, s’ornaient de nombreux colliers formés de leurs dents. Dix mille guerriers suivent ce chef célèbre dans les combats: ils portent des massues tranchantes de bois de fer; ils lancent des balles au moyen de l’arc à deux cordes[3].
Grand Pecicava, tu ne manquais pas au rassemblement; on te voit guider le Carijo, venu des pays aurifères; et ces feuilles d’or qui te servaient autrefois d’ornement, tu les avais cachées sur les rives de tes fleuves. […].
La Renommée a dit que du pied des hautes montagnes qu’ils habitaient autrefois, ces guerriers, parmi les pierres qui ornaient leurs lèvres, portaient aussi de brillans (sic) diamans (sic). Les uns les remplaçaient par des topases (sic) à la couleur d’or, les autres se paraient de saphirs ou de rubis enflammés. Ces pierres, ils dédaignent et nous les aimons: je ne sais qui se trompe[4].
Le redoutable Sabara anime de son courage six mille archers venus d’Aspiranga. Guerriers pleins d’ardeur, ils n’ont jamais épargné le sang dans les batailles; ils ont abandonné leur douce patrie pour des forêts épaisses, pour des marais fangeux; l’horrible bruit du canon les a fait passer des rives de l’Océan aux pays des mines d’or. […]
Tacape paraît à son tour.
Sous ses ordres on voit marcher douze mille Itatis, formant deux files séparées; habitant le bord des cascades, le bruit des eaux les a assourdis. Leurs maracas suspendus à de longues piques indiquent les corps différens (sic); on les agite dans les airs, et leur retentissement remplace le bruit des tambours belliqueux[5].
Une nation redoutable forme ses colonnes guerrières. L’horrible visage de ces Américains surpasse en laideur tout ce qu’on peut imaginer; un robuste bouclier de bois durci les défend; leur bras terrible porte un arc et des flèches, un dard aigu arme leur main; sur leurs épaules pend un hamac, à leur ceinture est encore suspendue une courge creusée, qui sert de coupe: telle est l’image du cruel Tapuia. »
Dans la crainte de fatiguer le lecteur, je ne poursuivrai pas cette longue description. On a dû voir combien les tableaux peuvent être variés, et quels mouvemens (sic) doit offrir le récit du combat. Il est vraiment à regretter qu’il ne se trouve pas au Brésil un Cooper pour donner à l’Europe une juste idée de ces nations dont les restes errent encore dans les forêts des Capitaineries désertes.
Le combat doit bientôt avoir lieu. Le rival de Diogo engage les Indiens à ne pas craindre l’arme tonnante de son ennemi. Il s’élance au sein de la mêlée.
La victoire reste aux Tupinambas. Ils se sont retirés dans leur village. De malheureux prisonniers doivent servir au festin, selon l’antique usage. La cérémonie du massacre est décrite avec assez d’exactitude. Plusieurs victimes vont succomber. La foule les entoure, des liens les retiennent.
« N’êtes-vous point[6], dit l’un des barbares, les traîtres qui, dans leur fureur, sont venus pour nous massacrer? N’êtes-vous point ceux qui, sans pitié pour leurs cris, vouliez dévorer nos enfants? —C’est nous, dirent-ils, et nous saurions abattre ta fureur sans les liens qui nous retiennent. […].
Vif ou mort, tu ne me toucheras point, car si tu voulais te mesurer corps à corps avec moi, ou tu deviendrais immobile d’effroi, ou un seul coup te ferait mordre la poussière. Si l’on nous délivrait, reprend un autre, on te verrait fuir. Va, celui qui veut être loué de sa vaillance ne triomphe point d’un ennemi désarmé.
Cette vaine pensée, tu aurais dû l’avoir sur le champ de bataille, dit Toujane; mais alors que tu commençais à combattre, tu fus esclave; comment oses-tu donc te vanter maintenant avec cet orgueil superbe? A qui manque le courage de résister, tant de jactance ne peut convenir.
Il dit et il lève sur son front l’épée immense; il la laisse retomber, elle frappe un coup terrible. Embiara tombe, mais il est encore vivant. Mexira est renversé: tout son corps palpite; celui-ci mord la poussière avec une ardente furie; le vainqueur le frappe de son pied. Meurs, dit-il, ennemi superbe, tu deviens le trophée de notre vengeance, tu serviras à nos festins! »
Je demande pardon au lecteur de lui offrir cet effrayant tableau: quoique ces strophes de Duraõ soient mal écrites, elles offrent quelque chose de Dantesque par l’image terrible qu’elles rappellent.
On pense bien que de semblables scènes se passent à l’insu de Diogo; les combats se renouvellent; Jararaca succombe; mais loin de consentir à livrer les prisonniers qui sont tombés dans son pouvoir, Diogo veut leur rendre la liberté. Ils la dédaignent. Ici le poète nous retrace un fait qu’il assure avoir eu lieu dans la Capitainerie du Maranham. Un des guerriers qui s’attend au sacrifice est dévoré par les insectes. Il les ramène avec la main sur la front; Diogo veut le plaindre, mais un sourire est la seule réponse du sauvage.
« Qui te surprend? pourquoi donner à ce corps méprisable une condition plus douce? Ce corps ne m’appartient plus; je l’anime, il est vrai; mais il est mon ennemi. »
C’est ainsi que Duraõ trace des tableaux, trop vrais sans doute, mais curieux du moins pour l’Europe. Ils ont le mérite de faire connaître la cruelle bizarrerie du coeur humain.
Des scènes moins effrayantes succèdent aux fêtes de la guerre; Diogo est reconnu comme chef suprême de ces contrées par les tribus d’alentour. Paragouassou partage son triomphe. Orellana, qui a descendu le fleuve des Amazones, vient chercher un asile dans le port dominé par Diogo. Il en reçoit un touchant accueil et décrit une partie de son voyage; mais bientôt on voit paraître dans la baie un navire français. Diogo, dévoré du désir de revoir l’Europe, s’embarque avec Paragouassou. Ses autres épouses le suivent à la nage pendant longtemps. L’une d’elles le supplie de l’emmener[7], mais le navire fend toujours rapidement les eaux; ses plaintes ne sont plus entendues: elle meurt au sein des flots.
Duraõ faut débarquer ses deux voyageurs à Paris, et l’étonnement de la jeune sauvage est assez bien exprimé. Elle reçoit le baptême. La reine Marie de Médicis lui sert de marraine; et sur la réputation du voyageur, le roi désire entendre le récit de ses aventures. Diogo fait une longue description du Brésil, remarquable par son exactitude et par l’observation des détails. Il passe en revue toutes les productions de cette vaste contrée, et quand il vient à parler des fleurs, il rend souvent avec beaucoup de bonheur les phénomènes les plus gracieux. J’en offrirai ici une preuve :
« Parmi les fleurs[8] qui s’élèvent sous un ciel plein de splendeur, on regarde comme la reine, une sorte de rose qui, brillante de blancheur avec les feux d’aurore, devient vers le milieu du jour d’une couleur plus flatteuse, accroît bientôt cette teinte de flamme, pour se parer vers le soir d’un pourpre magnifique; cette merveille, la clicia sait l’accomplir.
Une autre fleur charmante, qui laisse tomber ses tiges, et qui a prit le nom de saint Jean, passe pour la plus belle du vallon, soit qu’elles brillent par la couleur, soit qu’elles brillent par leur grâce. Paraissant de la manière la plus éclatante parmi les rameaux touffus qui s’étendent au hasard, cette fleur semble être une grappe d’or au milieu de vertes émeraudes. »
Le poète continue à décrire les différentes productions de Brésil; il nomme tour à tour les animaux qui animent ses forêts, les monstres qui peuplent ses mers, et souvent ses peintures sont faites avec un rare bonheur.
Nous sommes arrivés au huitième chant. L’action recommence, mais elle offre peu d’intérêt. Un traité de commerce est conclu avec Diogo; il va retourner dans sa patrie adoptive. Le navire fend les eaux: on est déjà près de l’équateur. Tout-à-coup Paragouassou tombe plonger dans une extase céleste: long-temps (sic) on croit qu’elle est privée de l’existence; enfin on la voit se réveiller; elle vient d’avoir une vision, et elle la raconte. Sa voix prophétique annonce la gloire du Brésil et la religion qui doit y fleurir. La fin du huitième chant et une partie du neuvième contiennent un coup d’oeil rapide sur l’histoire de ces contrées. Les guerres des sauvages contre les Européens sont encore décrites avec originalité, mais le style offre toujours de nombreux défauts. Le commencement du dixième chant est consacré à célébrer la beauté céleste de la Vierge. Paraguassou raconte comment elle lui est apparue brillante d’une splendeur divine, entourée d’anges et de séraphins. Elle a ordonné à la jeune Américaine que son image, profanée par des mains sauvages, soit replacée dans un lieu consacré.
Enfin les voyageurs arrivent devant la baie de San-Salvador. Mais tout est bien changé. Coutinho, l’un des donataires du Brésil, domine sur ces contrées. Son arrogance a révolté l’indépendance sauvage qui veut bien se soumettre au bienfait, mais qui résiste à l’oppression. Il a été obligé de fuir. Les Espagnols, anciens hôtes de Diogo, et ceux qui vivaient sous ses lois paisibles, lui racontent ces événements. C’est en visitant une cabane sauvage que Paragouassou reconnaît l’image divine qui lui est apparue durant son extase. La statue de la Vierge sera bientôt placée dans une chapelle qui s’élèvera non loin du rivage.
Les habitans (sic) de L’Aldée expriment encore leur admiration pour l’image sainte, quand le bruit de canon se fait entendre. C’est Thome de Souza qui vient prendre possession du pays au nom du roi du Portugal; Diogo l’accueille avec empressement. Les peuples qu’il gouverne lui offrent l’hospitalité, et bientôt une ville puissante s’élève sur ces rivages où quelques années auparavant d’infortunés navigateurs n’avait pu trouver un asile. Telle est la fin du poème.
Les personnes qui se rappellent l’histoire de Brésil verront que Duraõ n’a point su tirer partie de la situation la plus forte qui lui fût offerte par les aventures de Diogo Alvares Correa. Ce chef ne resta pas long-temps (sic) paisible possesseur des contrées dont on lui avait accordé la domination. Celui auquel on avait fait en Portugal la concession de cette partie de la côte, Coutinho, le persécuta, et finit par l’emmener avec lui dans la capitainerie des Ilheos, en faisant courir le bruit de sa mort. Paragouassou, au désespoir prit la résolution de venger son mari, et combattit ses oppresseurs. Il y avait dans ce dévouement, dans cette ardeur généreuse de haine et d’amour, de quoi produire les plus fortes impressions, et c’est avoir bien mal compris un tel sujet que de ne point s’être proposé comme premier but de faire ressortir tout l’héroïsme de l’épouse de Diogo.
Il eût donc été préférable de prendre l’action du poème à l’époque où Coutinho envahit les possessions des Tupinambas; il eût offert alors un intérêt bien plus vif. Néanmoins j’ai cru devoir donner une analyse de l’ouvrage de Duraõ, parce que, malgré ses imperfections, il est national, et qu’il indique assez bien le but vers lequel doit se diriger la poésie américaine.
[1] Nom donné à Dieu chez les Tupis; Toupan ou Tupan signifie Tonnerre.
[2] Gupaiba, que empunha a feral maça.
[3] L’usage de cet arc est assez généralement répandu; on peut en voir la représentation dans le Prince de Newied. Consult.[ez]également Le Brésil, ou moeurs et coutumes des habitans (sic) de ce royaume, 6 vol. in-18, par M. Taunay et moi.
[4] L’usage de s’introduire un corps étranger façonné en rond dans la lèvre inférieure, et même dans les joues, est généralement répandu au Brésil. Voy.[ez] les ouvrages déjà cités.
[5] Le macaca était un instrument sacré, formé d’une coloquinte, creusée, ou d’un coco dans lequel on introduisait des graines retentissantes, ou des cailloux.
[6] Naôs sois vos (disse o barbaro) traidores, etc. Canto 5.
[7] J’ai traduit ce passage dans les Scènes de la nature sous les tropiques.
[8] Das flores pelo ar brillante, etc. Cant(o) 7.